De Bethléem au Calvaire
Nous sommes en train de passer d'un âge religieux à un
autre. Les tendances spirituelles de notre époque se définissent
d'une façon de plus en plus claire. Le coeur des hommes n'a
jamais été plus sensible aux influences spirituelles
et la porte qui conduit au centre même de la réalité
est largement ouverte. Cependant, parallèlement à ce
développement significatif, on remarque également une
tendance en sens contraire, c'est-à-dire que les philosophies
matérialistes et les doctrines de négation prennent
une importance accrue. Pour beaucoup, la validité même
de la religion chrétienne reste encore à prouver. On
proclame que le christianisme a fait faillite, que l'homme n'a pas
besoinde l'Evangile, avec son implication de la divinité et
ses encouragements au service et au sacrifice.
L'Evangile est-il vrai au point de vue historique ? N'est-ce pas plutôt
une légende mystique d'une grande beauté et d'une valeur
éducative incontestable, mais qui n'apporte cependant rien
de vital aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui, si fiers de leur
faculté de raisonnement et de leur indépendance à
l'égard des anciennes entraves mentales et des traditions périmées
? On remarquera que le caractère même du Christ, dont
l'Evangile nous apporte une description d'une perfection inégalée,
n'est nullement mis en cause. Les ennemis du christianisme admettent
eux-mêmes le caractère unique du Christ, sa profondeur
insondable et sa compréhension des coeurs humains. Ils reconnaissent
que ses idées sont suprêmement intelligentes et les incorporent
à leur propre philosophie. Les développements que le
Charpentier de Nazareth apporta à la contexture de la vie humaine,
ses idéaux sociaux et économiques, et la beauté
de la civilisation que l'on pourrait édifier sur les préceptes
moraux du sermon sur la montagne, sont souvent mis en lumière
par beaucoup d'entre ceux qui refusent de voir dans Sa mission une
expression de la divinité. Au point de vue rationnel, la question
de l'exactitude historique de Sa vie reste en suspens, bien que Son
enseignement concernant la paternité de Dieu et la fraternité
de l'homme soit adoptée par les esprits les plus éminents.
Ceux qui savent se mouvoir dans le monde des idées, de la foi
et de l'expérience vivante, attestent Sa divinité et
affirment qu'on peut L'approcher. La plus grande partie de l'incroyance
et du scepticisme contemporain, et la négation de nos soi-disant
"vérités", proviennent de ce que la religion
a été généralement dominée par
les dogmes et que l'étude de la doctrine s'est substituée
à l'expérience vivante. C'est cette expérience
vivante qui est le thème, la clé du présent ouvrage.
Peut-être y a-t-il une seconde raison pour laquelle l'humanité
actuelle a si peu de foi ou met si malencontreusement en discussion
tout ce qui est cru : c'est que les théologiens ont essayé
de détacher le christianisme de la place qui lui revient dans
le plan des choses, et ont méconnu sa position dans la grande
continuité de la révélation divine. Ils se sont
efforcés de souligner son caractère exceptionnel et
l'ont considéré comme une expression isolée,
totalement distincte de l'ensemble de la religion spirituelle.
Ce faisant, ils ont détruit son arrière-plan, ont déplacé
ses fondations et ont rendu difficile à l'esprit, toujours
plus développé de l'homme, d'accepter sa présentation
doctrinale. Pourtant, saint Augustin nous dit que "ce que l'on
appelle la religion chrétienne existait déjà
chez les Anciens et n'a jamais cessé d'exister depuis les origines
de l'humanité jusqu'à l'incarnation du Christ, moment
où la vraie religion, qui existait déjà, commença
à s'appeler Christianisme" . La sagesse qui exprime nos
rapports avec Dieu, les règles de la Route qui ramènent
nos pas vers la maison du Père et l'enseignement qui nous apporte
la révélation ont toujours été identiques
à travers les âges et sont conformes à tout ce
que le Christ a enseigné. Ce corps de vérités
intérieures et cette plénitude de connaissances divines
ont existé depuis des temps immémoriaux. C'est cette
vérité que le Christ nous a révélée.
Mais Il fit plus encore. Il révéla en lui-même,
par l'exemple de Sa vie, ce que cette connaissance et cette sagesse
pouvaient faire pour l'homme. Il démontra en lui-même
la pleine expression de la divinité, et enjoignit ensuite à
Ses disciples d'aller dans le monde et d'en faire de même.
Au sein de la continuité de la révélation, le
christianisme est entré dans son cycle d'expression sous la
loi divine qui gouverne toute manifestation – La Loi de l'Apparence
cyclique. Cette révélation traverse les phases communes
à toutes les manifestations de la forme ou apparences ; elle
passe par les stades successifs de la croissance et de la
maturation, pour aboutir (lorsque le cycle touche à sa fin)
à la cristallisation, caractérisée par la suprématie
croissante accordée à la forme et à la lettre,
jusqu'à ce que la mort de cette forme devienne une chose inévitable
et sage. Mais l'esprit continue de vivre et s'adjoint sans cesse de
nouvelles formes. L'esprit du Christ est immortel et, de même
qu'il vit éternellement, tout ce qu'il a démontré
en s'incarnant doit vivre aussi. La cellule initiale, dans le corps
de la femme, la période de la petite enfance suivie par le
développement de l'adolescent en homme – tout cela, le
Christ l'a traversé, car ces processus sont la destinée
commune de tous les fils de Dieu. Grâce à Sa soumission,
et parce qu'il "apprit l'obéissance par les souffrances
qu'il endura" , il lui fut accordé de révéler
Dieu à l'homme, et aussi – (faut-il le dire ?) –
le divin en l'homme, à Dieu. Car les Evangiles mous montrent
le Christ demandant constamment cette reconnaissance au Père.
La grande continuité de la révélation est notre
trésor le plus précieux ; la religion du Christ doit
s'y insérer, et elle s'y insère parfaitement. Dieu ne
S'est jamais laissé sans témoin, et ne le fera jamais.
On oublie souvent la place qui revient au christianisme en tant qu'accomplissement
du passé et préparation de l'avenir. C'est peut-être
pourquoi les gens parlent d'un déclin du christianisme et tournent
leurs regards vers cette révélation spirituelle dont
ils ont si cruellement besoin. Si l'on ne met pas cette continuité
en lumière, et si l'on passe sous silence la place éminente
qui revient à la foi chrétienne, nous risquons fort
de passer à côté de la révélation,
sans l'apercevoir.
"Il existait", nous dit-on, "dans chaque contrée
ancienne ayant des prétentions à la civilisation, une
doctrine ésotérique, c'est-à-dire un système
désigné sous le nom de SAGESSE et ceux qui se consacraient
à sa poursuite furent d'abord dénommés Sages
Pythagore a appelé ce système la Gnose ou connaissance
des choses qui sont sous la noble désignation de Sagesse, les
anciens maîtres, les Sages de l'Inde, les mages de la Perse
et de Babylone ; les voyants et les prophètes d'Israël,
les hiérophantes d'Egypte et d'Arabie, ainsi que les philosophes
de la Grèce et de l'Occident rassemblaient toutes les connaissances
qu'ils considéraient comme essentiellement divines. Dans cette
somme
de connaissances, ils faisaient deux parts : l'une qu'ils considéraient
comme étant "ésotérique", et l'autre
comme étant extérieure" .
Nous sommes très bien renseignés sur la partie exotérique
de cette doctrine. Le christianisme orthodoxe et théologique
est fondé sur elle, comme le sont toutes les formules orthodoxes
des grandes religions. Cependant, quand on oublie la sagesse intérieure
et que l'on écarte le côté ésotérique
de la révélation, alors l'esprit et l'expérience
vivante s'évanouissent. Nous nous sommes surtout préoccupé
des détails de la forme extérieure de la foi, et nous
avons cruellement oublié le sens intérieur qui apporte
la vie et le salut, non seulement à l'individu, mais à
l'humanité tout entière. Nous avons passé notre
temps à lutter sur les détails secondaires de l'interprétation
traditionnelle et nous avons omis d'enseigner le secret et la technique
de la vie chrétienne. Nous avons surestimé les aspects
doctrinaux et dogmatiques et nous avons défié la lettre
; et, pendant tout ce temps, L'âme de l'homme réclamait
l'esprit de vie que voilait la lettre. Nous nous sommes torturés
le cerveau pour expliquer certains aspects historiques du récit
évangélique l'importance des facteurs temporels et l'exactitude
terminologique de certaines traductions, sans apercevoir la magnificence
de l'accomplissement du Christ, ni l'enseignement profond qu'il contient,
pour l'individu et pour la race humaine. On a perdu de vue le drame
de Sa vie et son application pratique aux vies de ses disciples, par
suite de l'importance exagérée accordée à
certaines paroles qu'Il est supposé avoir dit, tandis que ce
qu'Il exprima par Sa vie, et les relations qu'Il mit en lumière
et qu'Il considéra comme constituant l'essentiel de Sa révélation,
ont été totalement ignorées.
Nous nous sommes battus au sujet du Christ historique et, au cours
de cette lutte, nous avons perdu de vue Son message d'amour à
terrestre du Christ, ne représente pas seulement cela pour
le mystique, mais signifie un processus cosmique perpétuel".
Certains érudits ont passé leur vie à prouver
que l'histoire de Jésus n'est qu'un mythe. Il importe, cependant,
de remarquer qu'un mythe est la somme des croyances et des connaissances
du passé, telle qu'elle nous est transmise pour nous servir
de guide ; elle constitue les fondements d'une révélation
nouvelle et nous prépare à recevoir une vérité
imminente. Un mythe est une vérité authentique et
confirmée, un pont dont les arches enjambent, L'une après
l'autre, L'abîme qui existe entre les connaissances acquises
du passé, la vérité présente, et les
possibilités infinies et divines de l'avenir. Les mythes
antiques et les anciens mystères nous offrent une présentation
successive du message divin, tel qu'il fut énoncé
par Dieu à travers les âges, en réponse aux
besoins de l'homme. La vérité d'un âge devient
le mythe de l'âge suivant, mais sa signification et sa réalité
restent intactes et ne demandent qu'à être réinterprétées
en termes actuels.
Nous sommes libres de choisir et de rejeter ; Mais ayons soin de
choisir avec les yeux ouverts par cette perspicacité et cette
sagesse qui sont le signe distinctif de ceux qui ont déjà
accompli un long trajet sur le chemin du retour. Il y a de la vie,
de la vérité et de la vitalité dans le récit
de l'Evangile. Il y a du dynamisme et de la divinité dans
le message de Jésus.
Pour nous, aujourd'hui, le christianisme est une religion culminante.
C'est la plus grande des récentes révélations
divines. Ayant été conçu il y a deux mille
ans, bien des choses en elle ont fini par prendre l'aspect de mythes
et les contours du récit, jadis très clairs, ont fini
par s'estomper peu à peu et ont commencé à
être considérés sous un angle purement symbolique.
Cependant, il existe une vérité derrière le
symbole et le mythe, une vérité essentielle, dramatique
et pratique.
Notre attention a été absorbée par le symbole
et la forme extérieure, tandis que le sens est resté
obscur et ne réussit pas à inspirer suffisamment nos
vies. Au cours de notre étude pointilleuse de la lettre,
nous avons perdu le sens du Verbe lui-même. Il nous faut parvenir
derrière le symbole en lequel il s'incarne et transférer
notre attention du monde des formes extérieures, à
celui des réalités intérieures. Keyserling
exprime ce fait de la façon suivante "Dans le domaine
des attitudes spirituelles, le processus qui consiste à quitter
le niveau de la lettre pour celui du sens intérieur peut
se définir clairement par une seule proposition. Il consiste
à voir à travers les phénomènes. Tout
phénomène vivant est, en somme, un symbole ; car l'essence
de la vie est son sens. Mais tout symbole, qui est l'expression
ultime d'un certain état de conscience, devient transparent
lorsque l'on atteint un état plus profond, et ainsi de suite
jusqu'à l'infini. Car, toutes choses, si on les considère
sous l'angle de leur sens, sont reliées intérieurement
les unes aux autres, et leurs profondeurs ultimes ont leurs racines
en Dieu."
"En conséquence, aucune forme spirituelle ne peut jamais
être une expression ultime, chaque sens, lorsqu'on l'a pénétré,
devient automatiquement la lettre d'un sens plus profond, de sorte
que l'ancien phénomène acquiert un sens nouveau. Ainsi,
le catholicisme, le protestantisme, L'orthodoxie grecque, L'islamisme
et la religiosité bouddhique peuvent continuer à être,
sur le plan de cette vie, ce qu'ils étaient autrefois, tout
en signifiant pour nous quelque chose d'entièrement nouveau".
La seule raison d'être du présent ouvrage est qu'il
marque un effort pour pénétrer ce sens plus profond,
sous-jacent aux grands évènements de la vie du Christ,
et d'infuser une vigueur nouvelle et un intérêt renouvelé
à l'aspiration défaillante du Chrétien. Si
ce livre arrive à démontrer que l'histoire contenue
dans les Evangiles ne s'applique pas uniquement à cette divine
Figure qui vécut un temps parmi les hommes, mais qu'elle
a aussi une signification pratique et un sens pour l'homme d'aujourd'hui,
alors il aura atteint son objet, en offrant une aide et en rendant
service. Aujourd'hui, grâce à notre degré d'évolution
plus avancé et à notre capacité d'exprimer
nos états de conscience à l'aide de nuances plus finement
différenciées, il est possible que nous puissions
assimiler l'enseignement de l'Evangile avec une vision plus claire,
et que nous fassions une application plus sage de la leçon
qu'il nous fournit. Ce grand Mythe nous appartient – ayons
le courage d'employer ce mot dans son sens véritable et sa
signification exacte.
Un mythe est susceptible de devenir un fait dans l'expérience
d'un individu, car un mythe est un fait qui peut être prouvé.
C'est sur les mythes que nous nous basons, mais il faut chercher
à les réinterpréter à la lumière
du présent. Nous pouvons prouver leur validité en
les ressentant à la faveur d'une auto-initiation ; nous pouvons
les expérimenter, en nous-mêmes, comme les forces dominantes
qui régissent notre vie ; et en les exprimant à notre
tour, nous pouvons démontrer aux autres qu'ils sont vrais.
Tel est le thème de ce livre, qui traite des faits relatés
par l'Evangile, ce quintuple mythe composé de paliers successifs,
qui nous apporte la révélation de la divinité
en la Personne de Jésus-Christ, et qui demeure éternellement
vrai, dans le sens cosmique et dans le sens historique, non moins
que dans ses applications pratiques à chaque individu. Ce
mythe se subdivise en cinq épisodes :
1. La Naissance à Bethléem ;
2. Le Baptême dans le Jourdain ;
3. La Transfiguration sur le Mont Carmel ;
4. La Crucifixion sur la colline de Golgotha ;
5. La Résurrection et l'Ascension.
Notre tâche consiste à dégager le sens de ces
cinq épisodes, et à les réinterpréter
en termes actuels.
L'histoire humaine a atteint un point culminant et l'homme le doit
à l'influence du christianisme. En tant que membre de la
famille humaine, il a atteint un niveau d'intégration inconnu
dans le passé sauf d'une poignée d'êtres élus
dans chaque nation. L'homme est comme l'ont montré les psychologues,
une somme d'organismes physiques, de forces vitales, d'états
psychiques ou de conditions émotives et de réactions
mentales ou intellectuelles. Il est maintenant prêt à
recevoir l'indication de sa prochaine transition, qui est, en même
temps un développement ou un déploiement. L'homme
attend cette métamorphose et il est prêt à saisir
l'occasion lorsqu'elle se présentera à lui. La porte
donnant accès à un monde d'existence et de conscience
plus élevée est grande ouverte ; la voie qui mène
au royaume de Dieu est clairement tracée. Beaucoup d'hommes,
dans le passé, ont pénétré dans ce royaume
et s'y sont éveillés à un monde d'existence
et de compréhension qui reste un mystère impénétrable
pour la sur le seuil d'une nouvelle révélation. Une
révélation qui ne reniera aucunement notre divin héritage
spirituel, mais ajoutera aux prodiges du passé une vision
claire de l'avenir.
Elle exprimera ce qui est divin, mais n'a pas été
révélé jusqu'ici. En conséquence, il
est possible que la compréhension de quelques-uns des sens
les plus profonds de l'Evangile permette au chercheur moderne de
saisir la synthèse plus vaste qui se prépare.
Quelques-unes de ces significations plus profondes ont été
abordées dans un livre, dû à la plume de ce
vétéran du christianisme qu'est le Dr Campbell Morgan,
publié il y a déjà bien des années et
intitulé "Les Crises du Christ". Prenant les cinq
épisodes principaux de la vie du rédempteur, autour
desquels s'édifie tout le récit de l'Evangile, il
leur donna une application vaste et générale, laissant
au lecteur la certitude que le Christ n'avait pas seulement traversé
ces expériences dramatiques en fait et en vérité,
mais qu'Il nous avait aussi légué l'injonction formelle
de "suivre Ses pas" . N'est-il pas possible que ces grands
faits qui couronnent l'expérience du Christ, ces cinq aspects
personnalisés du mythe universel, aient pour nous, en tant
qu'individus, plus qu'un intérêt historique et personnel
? N'est-il pas possible qu'ils se réfèrent à
quelque expérience et à quelque entreprise inspirée
à travers lesquelles bien des chrétiens sont invités
à passer, à présent, pour obéir à
Son injonction d'entrer dans une nouvelle vie ? Ne faut-il pas que
nous renaissions tous, que nous soyons tous baptisés par
l'Esprit, et transfigurés sur la cime de l'expérience
vivante ? Ce qui attend beaucoup d'entre nous, n'est ce pas le crucifiement,
menant à la résurrection et à l'ascension ?
N'avons-nous pas pris ces mots dans un sens trop étroit,
et ne leur avons-nous pas accordé une signification trop
sentimentale et trop vulgaire, alors qu'ils peuvent indiquer à
ceux qui sont prêts, une voie spéciale et une manière
plus rapide de suivre les pas du Fils de Dieu ?
C'est là un point qui nous concerne d'une façon toute
particulière, et que ce livre s'efforcera d'étudier.
Si nous pouvons découvrir cette signification plus intense
et si le drame des Evangiles peut devenir, de façon ou d'autre,
le drame des "âmes qui sont prêtes" alors
nous verrons renaître les caractères essentiels du
christianisme et nous verrons revivre la forme qui est en train
de se cristalliser si rapidement.
Tiré du livre du livre De Bethléem au Calvaire de
Alice Bailey
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