UNE VIE INNACCEPTABLE POUR UN ENFANT
Au début, Muni voulait aller travailler. Sa Mère venait
de mourir et Jothivel, son père, n’avait pas les moyens
de payer les frais d’obsèques. Jothivel travaillait
dans les champs près de leur village du sud de l’Inde.
Il gagnait 50 roupies par jour (environ 1.50 $) ce qui a laissé
sa famille de huit avec presque rien. À l’âge
de neuf ans, Muni désirait ardemment aider son père
et croyait que le travail serait plus amusant que l’école.
Lorsque l’employeur de Jothivel a eu vent de la situation,
il a offert un prêt de 2 000 roupies (58$) à la famille.
En échange, Muni devrait travailler dans ses champs 10 heures
par jour, sept jours par semaine, durant un an.
«Je trouvais difficile d’envoyer Muni travailler alors
qu’il devait être aux études», déclare
Jothivel, en parlant de sa décision d’il y a trois
ans. Dans la région où habite Jothivel, au moins 400
familles pauvres affrontent la même décision.
Près de la moitié du milliard d’habitants de
l’Inde vit avec moins d’un dollar par jour. L’école
primaire est gratuite mais peu ont les moyens d’acheter des
vivres, des fournitures scolaires et des vêtements. Les enfants
qui se retrouveront le plus vraisemblablement au travail sont les
plus pauvres.
En Inde, environ 100 millions d’enfants d’aussi peu
que six ans se lèvent chaque matin pour se rendre au travail.
Ils travaillent dur jusqu’à 16 heures par jour dans
des résidences privées, des usines, des champs, des
mines, et dans les rues. Les postes qu’ils occupent incluent
la garde du bétail, la fabrication d’allumettes, le
roulage de cigarettes, le polissage de pierres précieuses
et le tissage de tapis. Certains gagnent un salaire horaire dérisoire
tandis que d’autres travaillent aux côtés de
parents toute la journée. Plusieurs enfants vont à
l’école tout en gagnant un revenu leur permettant d’aider
leur famille. Toutefois, un trop grand nombre d’entre eux
quittent l’école pour un travail qui nuit à
leur santé physique ou mentale.
Des millions d’enfants, prisonniers de la servitude pour
dettes, travaillent toutefois en vain pour essayer de rembourser
de petits prêts. Leurs familles doivent rembourser des prêts
obtenus pour acheter des vivres, payer des frais médicaux,
réparer la maison ou participer à des réunions
familiales, telles des mariages et des funérailles; ils empruntent
donc de l’argent à un mudalali (le patron ou un prêteur
sur gages). En échange, leur fils ou fille travaille pour
le mudalali et rapporte à la maison une partie de ses maigres
revenus. Le reste sert à rembourser les intérêts
du prêt. Toutefois, les taux d’intérêt
sont souvent si élevés qu,ils doivent travailler durant
des années avant d’être libérés
de leurs obligations.
Les enfants peuvent également travailler pour le mudalali
à des conditions fixées d’avance. L’âge
de l’enfant détermine le montant du prêt (plus
l’enfant est âgé, plus le montant qu’obtient
la famille est élevé). Lorsque l’enfant travaille
durant un an, on considère que le prêt est remboursé.
Mais leurs familles ont souvent besoin d’argent avant la fin
de l’année; ils obtiennent donc un autre prêt
du mudalali, perpétuant le cycle durant des années.
En Inde, l’industrie de la beedi (cigarette) est reconnue
pour sont utilisation d’enfants prisonniers de la servitude
pour dettes. Vimala, qui vit dans le sud-est de l’Inde, se
souvient lorsque son père alcoolique a déserté
la famille, obligeant sa mère à subvenir aux besoins
de quatre enfants. Lorsque cette dernière a eu onze ans,
sa mère s’est adressée à un mudalali
pour emprunter 2000 roupies. « J’ai vu ma mère
se débattre; c’est donc de plein gré que je
suis partie travailler, pour l’aider », explique Vimala,
maintenant âgée de 17 ans. « Je me réveillais
à 5 h et me dépêchais de me rendre au travail
pour 6h. Mon travail consistait à aplatir des feuilles de
tabac ou à fermer les extrémités des beedis.
» Vimala travaillait souvent jusqu’à 21 h, gagnant
cinq roupies (15 cents) par jour.
La main-d’œuvre enfantine est illégale, en Inde.
En plus de ne pas obtenir une éducation, les enfants-travailleurs
risquent d’être exploités par leur employeur
ou de subir un accident de travail. Les maladies pulmonaires chroniques,
une mauvaise vision, une déformation des os ou même
la mort les guettent. Muni et Manigandan, son frère aîné,
déclarent que leur mudalalis les traitaient convenablement.
(Manigandan, à l’âge de onze ans est allé
travailler pour aider à payer les frais médicaux de
sa mère.) Lorsqu’on leur demande pourquoi ils ne sont
pas enfuis, Minagandan réplique : « Parce qu’ils
se seraient vengés sur notre père. »
Malgré la loi le travail ne manque jamais pour ces enfants.
Les mudalalis sont prêts à risquer une amende en échange
d’une main d’œuvre bon marché. Prenez, par
exemple l’employeur de Muni. Il payait Muni environ cinq roupies
par jour, soit le dixième de ce qu’il paie un homme
adulte.
Habituellement, les parents d’enfants-travailleurs étaient
eux-mêmes enfants-travailleurs et n’ont pu profiter
des avantages liés à l’éducation. Dans
le district de Jaipur, dans le nord de l’Inde, 130000 enfants
travaillent avec leur famille, polissant des pierres précieuses.
«Ce n’est pas que les parents refusent d’envoyer
leurs enfants à l’école; ils ne savent tout
simplement pas comment s’y prendre », déclare
Rajini Thambudorai, directeur de projet chez Vison Mondiale à
Jaipur. «Les enfants et les parents ont besoin de changer
leurs attitudes et de mettre les priorités au bon endroit.
Nous y travaillons.»
Par l’entremise du parrainage et d’autres projets,
Vison Mondiale a aisé à libérer des milliers
d’enfants de leur emploi dangereux et leur a offert une éducation.
(Les Canadiens parrainent plus de 17 000 enfants en Inde.) Les membres
du personnel aident les parents, les enfants et même les mudalalis
à réaliser leurs bienfaits de l’éducation.
Lorsque les membres du personnel de Vision Mondiale ont découvert
que Muni travaillait à temps plein, ils ont parlé
à Jothivel de l’inclure dans le programme de parrainage.
Ils lui ont expliqué également l’importance
d’éduquer ses enfants. Vision Mondiale a offert de
rembourser le solde des prêts de Jothivel, afin que ses deux
fils puissent retourner à l’école. Jothivel
a accepté.
Les enfants qui travaillent depuis des années trouvent difficile
de réintégrer le système scolaire. Depuis 1999,
Vision Mondiale a aidé à libérer 500 enfants-travailleurs
dans le district de Vellore, situé dans le sud de l’inde,
où l’industrie de beedi emploi des milliers d’enfants.
La plupart de ces enfants sont inscrits dans une école spéciale,
appelée école de transition, qui leur permet de se
rattraper dans leurs études ou ont opté pour une formation
professionnelle.
Nombre d’enfants doivent continuer à travailler à
temps partiel pour aider à subvenir aux besoins de leur famille
mais peuvent quand même obtenir une éducation. À
Bangalore, une ville du sud de l’Inde, 100 enfants parrainés
ont réussi à pour suivre leurs études bien
qu’ils aient un emploi à temps partiel sécuritaire.
À Vellore, Vision Mondiale a conçu une approche novatrice
pour changer la disposition des mudalalis. Les membres du personnel
invitent les épouses à se joindre aux groupes d’entraide
de Vision Mondiale. Lors des réunions, les femmes découvrent
les problèmes liés à la main-d’œuvre
enfantine. Depuis les quatre dernières années, 95
pour cent des mudalalis de la région ont arrêté
d’employer des enfants.
Les membres du personnel aident les parents d’enfants qui
étaient prisonniers de servitude pour dettes à trouver
de nouvelles sources de revenus. Ils leur enseignent de nouveaux
métiers et les encouragent à s’impliquer dans
les programmes générateurs de revenus, dans lesquels
ils apprennent comment exploiter une petite entreprise. Jothivel
est reconnaissant à Vision Mondiale de lui avoir offert une
vache et un veau, peu après avoir libéré Muni
de son contrat. Le lait vendu permet d’arrondir son revenu.
De plus Muni est heureux d’être maintenant sans emploi.
Aujourd’hui âgé de 12 ans et parrainé,
il prend plaisir à l’école- un changement énorme
des longues journées chaudes passées à garder
le bétail. « Je n’échangerai plus jamais
la liberté de mes enfants contre de l’argent, »dit
Jothivel. «Vision Mondial m’a éclairé.»
D’après les rapports de Lily Venkatarangam
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