Confessions d’un Tueur A Gages Economique
Par John Perkins
Tente de 600 – le 30 janvier - John Perkins, expert repenti
qui a passé sa vie au service de la communauté bancaire
internationale, dans un long monologue ponctué de vagues
d’applaudissements des auditeurs attentifs et débordant
de reconnaissance, explique comment il a travaillé à
l’établissement de l’empire nord-américain
au dépend des pays « pauvres », riches de ressources
naturelles. Il présente son livre « Confessions of
an economic hitman », dont j’ai retrouvé la préface
et le prologue sur Internet (www.johnperkins.org , www.dreamchange.org
)
Préface (traduit de l’anglais par Catherine Palmowski)
Les “tueurs à gages économiques” ou TAGEs
sont des professionnels grassement payés qui escroquent des
pays partout dans le monde de trillions de dollars. Ils canalisent
l’argent de la Banque Mondiale, de l’Agence Américaine
Pour le Développement International, et autres agences d’aide
internationales vers les coffres de grosses multinationales ou de
quelques familles richissimes qui contrôlent les ressources
naturelles de la planète. Les outils dont ils se servent,
sont entre autres les rapports financiers frauduleux, les élections
truquées, les pots de vin, l’extorsion, le sexe et
le meurtre. Ils jouent à un jeu vieux comme le monde, mais
qui avec la mondialisation a pris une nouvelle et terrifiante dimension.
Je le sais d’autant mieux que j’ai été
un de ces tueurs à gages économiques.
J’ai écrit cela en 1982 en introduction à un
livre dont le titre était La conscience d’un tueur
à gages économique. Le livre était dédicacé
aux présidents de deux pays, des hommes qui avaient été
mes clients, que je respectais et considérais comme des âmes
sœurs -Jaime Roldós, président de l’Equateur
et Omar Torrijos, président du Panama. Tout deux sont morts
dans des accidents spectaculaires. Leurs morts n’étaient
pas accidentels. Ils furent assassinés parce qu’ils
s’opposaient à cette fraternité de chefs d’entreprise,
de gouvernements et de banquiers dont l’objectif est l’empire
globale. Et comme nous, les tueurs à gages économiques
avions échoués dans nos tentatives de les convaincre,
ce sont les chacals appointés par la CIA (qui étaient
toujours là dans l’ombre derrière nous) qui
ont pris la relève.
On m’a convaincu d’interrompre la rédaction
de mon livre. Je l’ai repris à quatre reprises pendant
les vingt ans qui ont suivi. A chaque fois, ma décision de
le reprendre, m’a été dictée par des
évènements de l’actualité internationale,
l’invasion du Panama par les USA en 1980, la première
guerre du golf, la Somalie et l’ascension de Osama bin Laden.
Toutefois, à chaque fois, j’ai été persuadé
de l’interrompre soit par des menaces ou des pots de vin.
En 2003, le président d’une grande maison d’édition
qui appartient à une puissante entreprise internationale
lut une ébauche de ce qui entre temps était devenu
Les confessions d’un tueur à gages économique.
Il décrivit l’ouvrage comme « une histoire fascinante
qui méritait d’être racontée ».
Puis il sourit tristement, secoua la tête et me dit que les
gros bonnets du siège s’opposeraient à sa parution
et qu’il ne pouvait donc se permettre de le publier. Il me
conseilla d’en faire un roman. « Nous pourrions alors
vous commercialiser comme un romancier dans le genre de John Le
Carre ou Graham Greene. »
Mais ce n’est pas de la fiction, c’est la véritable
histoire de ma vie. Un éditeur plus courageux qui n’appartient
pas à une multinationale a consenti à m’aider
à la raconter.
Il faut que cette histoire soit racontée. Nous vivons à
une époque de crise terrible, mais aussi de d’opportunités
immenses. L’histoire de ce tueur à gages économique
raconte comment nous en sommes arrivée là où
nous sommes et pourquoi nous sommes actuellement confrontés
à des crises qui semblent insurmontables. Cette histoire
doit être racontée, parce que ce n’est qu’en
comprenant nos erreurs passées que nous serons en mesure
de profiter des opportunités futures, parce que le 11 septembre
a eu lieu, ainsi que la seconde guerre d’Irak, parce que aux
3000 personnes qui sont mortes le 11 Septembre des mains des terroristes,
il faut ajouter les quelques vingt quatre mille qui sont mortes
de faim ou de causes imputables à la faim. En fait, vingt
quatre mille personnes meurent tous les jours parce qu’ils
sont privés de la nourriture nécessaire à les
maintenir en vie. Plus important encore, cette histoire doit être
racontée parce que aujourd’hui pour la première
fois dans l’histoire, une nation a la capacité, l’agent
et le pouvoir de changer tout cela. C’est la nation où
je suis né, celle que j’ai servi en tant que tueur
à gages économique : les Etats-Unis D’Amérique.
Qu’est ce qui m’a enfin décidé à
ignorer les menaces et les pots de vin ?
La réponse brève est que mon seul enfant, Jessica,
a fini ses études et mène aujourd’hui sa propre
barque. Quand je lui ai récemment dit que j’envisageais
de publier ce livre et que je lui ai fait part de mes craintes,
elle m’a dit « ne t’inquiètes pas papa,
s’ils arrivent à t’avoir, je reprendrais là
où tu te sera arrêté. Il faut que nous le fassions
pour les petits enfants que j’espère un jour te donner
! »
La version plus longue se rattache à mon dévouement
au pays où j’ai été élevé,
mon attachement aux idéaux exprimés par nos pères
fondateurs, mon engagement envers la république américaine
qui nous est promise aujourd’hui, « la vie, la liberté
et la poursuite du bonheur » pour tous et partout, et à
ma détermination après le 11 septembre à ne
plus rester à ne rien faire tandis que les tueurs à
gages économiques transforment cette république en
un empire global. Ceci est le schéma simplifié de
la version longue qui sera développé dans les chapitres
suivants.
Ceci est une histoire vraie dont j’ai vécu chaque
minute. Les endroits, les personnes, les conversations et les sentiments
que je décris ont tous fait partie de ma vie. C’est
mon histoire personnelle et cependant elle s’est déroulée
dans le contexte plus large des évènements mondiaux
qui ont façonné notre histoire, nous ont menés
là où nous sommes aujourd’hui, et constituent
les fondations de l’avenir de nos enfants. J’ai fait
de mon mieux pour restituer ces expériences, ces personnes,
et ces conversations de la façon la plus fidèle possible.
Chaque fois que je parle d’évènements historiques
ou que je reconstitue des conversations avec d’autres personnes,
je le fais à l’aide de différents outils dont
des documents publiés, des archives personnelles et des notes,
des souvenirs -les miens et ceux d’autres personnes qui étaient
présentes ; les cinq manuscrits que j’ai commencé
autrefois ; et des comptes rendus historiques par d’autres
auteurs, plus particulièrement ceux qui ont été
publiés récemment et qui révèlent des
informations jusqu’ici classés secrets ou indisponibles
autrement. Des notes et des références sont fournies
pour permettre aux lecteurs intéressés d’approfondir
ces sujets.
Mon éditeur m’a demandé si nous nous référions
à nous mêmes comme des tueurs à gages économiques,
je lui ai dit que oui, bien qu’en général nous
nous contentions d’utiliser les initiales TGE. En fait, le
jour de 1971 où j’ai commencé à travailler
avec mon professeur Claudine, elle m’a dit : « Ma mission
est de faire de vous un tueur à gages économique.
Personne ne doit être au courant de votre implication__ pas
même votre femme. » Puis plus sérieusement elle
me dit « Une fois là dedans, vous y êtes pour
la vie. » Après cela elle utilisa rarement le terme
tueur à gages économique, nous étions simplement
des TAGEs.
Le rôle de Claudine est un exemple fascinant de la manipulation
à la base du travail que j’allais désormais
accomplir. Belle et intelligente, elle était très
efficace, elle comprenait mes faiblesses et les utilisait tout à
son avantage. Son travail était à l’image des
rouages qui permettent au système de rester sur les rails.
Claudine ne mâchait pas ses mots lorsqu’elle décrivait
les taches que je serais amené à accomplir. Mon travail
serait « d’encourager les dirigeants mondiaux à
faire partie d’un vaste réseau dont le rôle est
de promouvoir les intérêts commerciaux des Etats-Unis.
A la fin, ces dirigeants se retrouvent pris au piège dans
une toile d’araignée de dettes de façon à
assurer leur loyauté. Nous pouvons ainsi faire appel à
eux chaque fois que c’est nécessaire pour satisfaire
nos besoins politiques, économiques ou militaires. En échange,
ils renforcent leurs propres positions politiques en fournissant
des parcs industriels, des usines électriques et des aéroports
à leurs peuples. Les propriétaires des entreprises
américaines d’engineering et de construction deviennent
fabuleusement riches.
Aujourd’hui nous voyons les effets pervers de ce système.
Les dirigeants de nos entreprises les plus respectés embauchent
des travailleurs à des salaires de misère et les font
travailler dans des conditions inhumaines dans des ateliers en Asie.
Les compagnies pétrolières déversent abusivement
des toxines dans les rivières des forêts tropicales,
tout en sachant qu’elles tuent des gens, des animaux et des
plantes et commettent un génocide à l’encontre
des anciennes civilisations et cultures. L’industrie pharmaceutique
refuse de fournir les médicaments salvateurs à des
millions d’africains atteints du SIDA. Dans notre propre pays
les Etats-Unis, douze millions de familles se font du souci pour
leur prochain repas. L’industrie énergétique
produit des Enron, la comptabilité des Arthur Andersen. Le
ratio des revenus d’un cinquième de la population mondiale
dans les pays les plus riches par rapport à celui du cinquième
de la population dans les pays les plus pauvres est passé
de 30 :1 en 1960 à 74 :1 en 1995. Les Etats-Unis dépensent
plus de $87 milliards à mener la guerre en Iraq alors que
les Nations Unis estiment que pour moins de la moitié de
cette somme, nous pourrions fournir de l’eau potable, de la
nourriture en quantité suffisante, des services sanitaires
et une éducation de base à chaque personne dans le
monde.
Et nous nous demandons pourquoi les terroristes nous attaquent
!
Certains seraient tentés d’attribuer nos problèmes
actuels à une conspiration organisée. J’aimerais
que ce fût si simple. Les membres d’une conspiration
peuvent être pourchassés et déferrés
à la justice. Toutefois, ce système est alimenté
par quelque chose de bien plus dangereux qu’une conspiration.
Il est mû non par un petit groupe d’hommes mais par
un concept qui est maintenant accepté comme l’évangile
: l’idée que toute croissance économique profite
à l’humanité et que plus la croissance est grande,
plus grands sont les avantages. Cette croyance a aussi pour corollaire
que les gens qui excellent à alimenter les feux de la croissance
doivent être portés aux nues et récompensés,
tandis que ceux qui sont nés aux marges de cette société
sont là pour être exploités.
Ce concept est bien sur erroné. Nous savons que dans de
nombreux pays, les avantages de la croissance ne profitent qu’à
une petite portion de la population et peuvent en fait conduire
à une situation encore plus désespérée
pour la majorité. Cet effet est renforcé par la croyance
corollaire que les capitaines d’industrie qui conduisent le
système doivent bénéficier d’un statut
spécial, une croyance qui est à l’origine de
beaucoup de nos problèmes actuels et qui explique peut être
l’abondance des théories de la conspiration. Quand
les hommes et les femmes sont récompensés pour leur
cupidité, la cupidité devient un mobile corrupteur.
Quand nous assimilons la consommation gloutonne des ressources de
la terre à un statut proche de la sainteté, quand
nous enseignons à nos enfants à suivre l’exemple
de personnes qui mènent des vies déséquilibrées
et lorsque nous subordonnons d’énormes sections de
la population à une élite minoritaire, nous cherchons
les ennuis et nous les trouvons.
Dans leur effort pour promouvoir l’empire global, les entreprises,
les banques, et les gouvernements (qui collectivement forment ce
que j’appellerai désormais la « corporatocratie
») utilisent leur puissance économique et politique
pour s’assurer que nos écoles, nos entreprises et les
médias soutiennent à la fois ce concept fallacieux
et son corollaire. Ils nous ont amené au point où
notre culture globale est devenue une machine monstrueuse qui exige
des quantités de fuel et de maintenance qui augmentent sans
cesse de manière exponentielle, de telle sorte qu’elle
finira par dévorer tout ce qui est en vue et n’aura
pas d’autre choix que de se dévorer elle-même.
La « corporacratie » n’est pas une conspiration,
mais ses membres adhèrent à des valeurs communes.
Une de ses fonctions majeures est de perpétuer et sans cesse
étendre et renforcer le système. Les vies de ceux
qui la « créent » et leurs équipements
: hôtels particuliers, yachts, jets privés -sont présentés
comme des modèles qui doivent nous inspirer et nous pousser
tous à consommer, consommer, consommer. Toutes les occasions
sont bonnes pour nous convaincre qu’acheter est un devoir
civique et que piller la terre est bon pour l’économie
et sert donc nos intérêts supérieurs. Des gens
comme moi touchent des salaires outrageusement élevés
pour servir le système. Si nous échouons, un type
plus méchant de tueur à gages, le chacal, prend notre
place. Et si le chacal échoue, c’est l’armée
qui prend le relais.
Ce livre est la confession d’un homme qui, lorsqu’il
était un TAGE a fait partie d’un groupe relativement
restreint. Aujourd’hui il y a beaucoup plus de gens qui jouent
des rôles similaires. Ils portent des titres plus euphémistiques
et arpentent les corridors de Monsanto, General Electric, Nike,
General Motors, Wall Mart et de presque toutes les autres grandes
multinationales. Dans un sens très réel, Les Confessions
d’un tueur à Gages, est autant leur histoire que la
mienne.
C’est aussi votre histoire, l’histoire de votre monde
et du mien, celle du premier empire vraiment global. L’Histoire
nous montre qu’à moins que nous ne modifiions cette
histoire, elle ne peut que se terminer tragiquement. Les Empires
ne durent jamais. Tous sans exceptions ont échoués
lamentablement. Les empires détruisent bien des cultures
tandis qu’ils se lancent dans une course vers une domination
toujours plus grande et ensuite ils tombent à leur tour.
Aucun pays, ni association de pays ne peut prospérer à
long terme en exploitant les autres.
Ce livre a été écrit pour que nous puissions
en tenir compte et remodeler notre histoire. Je suis sur que lorsque
un nombre suffisant d’entre nous aura réalisé
à quel point nous sommes exploités par la machine
économique qui crée cet appétit insatiable
pour les ressources du monde et qui aboutit à des systèmes
qui favorisent l’esclavage, nous ne le tolèrerons plus.
Nous réexaminerons notre dans un monde où un petit
nombre nage dans l’abondance alors que la majorité
se noie dans la pauvreté, la pollution et la violence. Nous
nous engagerons à poursuivre une route qui mène vers
la compassion, la démocratie, et la justice sociale pour
tous.
Admettre l’existence d’un problème est un premier
pas vers la solution de ce problème, notre salut et qu’il
nous inspirera une plus grande implication personnelle et nous conduira
à réaliser notre rêve de sociétés
équilibrées et honorables.
Prologue
Quito, la capitale de l’Equateur s’étend à
travers une vallée volcanique haute perchée dans les
Andes à une altitude de 9000 pieds. Les habitants de cette
ville, qui fut fondé longtemps avant l’arrivé
de Christophe Colomb en Amérique, sont habitués à
voir la neige sur les sommets environnants, en dépit du fait
qu’ils ne vivent qu’à quelque miles au sud de
l’équateur.
La ville de Shell, un avant poste frontalier et une base militaire,
gagnée à coups de hache sur la jungle amazonienne
équatorienne pour desservir la compagnie pétrolière
dont elle porte le nom est à environ huit mille pieds plus
bas Quito. C’est une ville étouffante essentiellement
habitée par des soldats, des ouvriers de l’industrie
pétrolière et des indigènes des tribus Shuar
et Kichwa qui travaillent pour eux comme prostituées ou manœuvres.
Pour voyager d’une ville à l’autre, vous devez
voyager sur une route à la fois tortueuse et à vous
couper le souffle. Les gens du cru vous diront que ce voyage vous
fait vivre les quatre saisons en un seul jour.
Bien qu’ayant souvent conduit sur cette route, je ne me fatigue
jamais de ce paysage spectaculaire. Des falaises abruptes ponctuées
de chutes d’eau en cascade et de broméliacées
éclatantes s’élèvent d’un coté.
De l’autre coté, le sol tombe de façon abrupte
vers un abîme profond où la rivière Pastaza,
une des sources de l’Amazone serpente en descendant les Andes.
La Pastaza charrie l’eau des glaciers de Cotopaxi, un des
plus hauts volcans en activité, et une divinité à
l’époque des Incas, vers l’Océan Atlantique
à plus de trois mille miles de distance.
En 2003, J’ai quitté Quito au volant d’une Subaru
en direction de Shell investi d‘une mission différente
de toutes celles que j’avais accepté jusqu’à
là. J’espérais mettre fin à une guerre
que j’avais aidé à déclencher. Comme
c’est le cas pour nombre de missions menés par nous
autres Tueurs à gages économiques, c’est une
guerre virtuellement inconnue en dehors du pays où elle a
lieu. J’étais en route pour rencontrer les tribus Shuar,
Kichwa et leurs voisins les Achuars, Zaparos et Shiwiars qui étaient
résolus à empècher nos compagnies pétrolières
de détruire leurs maisons, leurs familles et leurs terres,
même si cela devait signifier qu’ils puissent y laisser
leur vie. Pour eux, ceci est une guerre pour la survie de leurs
enfants et de leur culture, alors que pour nous c’est une
question de pouvoir, d’argent et de ressources naturelles.
C’est un des aspects de la lutte pour la domination du monde
et du rêve de quelques hommes cupides : l’empire globale.
Construire un empire global, c’est ce que nous savons le
mieux faire, nous autres TAGEs. Nous sommes un petit group d’élite
d’hommes et de femmes qui utilisent les organisations financière
internationales pour fomenter les conditions qui rendent les autres
nations esclaves de ce que j’appelle la ‘corporatocracy’
qui gère nos plus grosses entreprises, notre gouvernement
et nos banques. Comme nos homologues dans la Mafia, nous accordons
des faveurs. Celles-ci se présentent sous la forme de prêts
pour développer l’infrastructure de ces pays -usine
électriques, autoroutes, ports, aéroports, ou parcs
industriels. Une des conditions qui gouverne de tels prêts
est que tous ces projets doivent être réalisés
par des entreprises d’engineering et de construction américaines.
En fait, le plus gros de l’argent ne quitte jamais les Etats-Unis,
il est simplement transféré des bureaux de banques
situées à Washington vers les bureaux d’entreprises
d’engineering à New York, Houston ou San Francisco.
En dépit du fait que l’argent revient presque immédiatement
aux grosses entreprises membres de la ‘corporacratie ‘(les
créanciers), le pays bénéficiaire doit tout
rendre, principal et intérêts. La mission du TGE est
complètement réussie, lorsque le prêt est tellement
important que le pays débiteur en est réduit à
se mettre en cessation de paiements quelques années plus
tard. Lorsque ceci se produit, comme la Mafia nous réclamons
« notre livre de chair » qui souvent inclut un ou plusieurs
des cas de figure suivants, le control de leur votes aux Nations
Unies, l’installation de bases militaires, l’accès
à des ressources précieuses comme le pétrole,
ou le canal de Panama. Bien sur, le débiteur nous doit toujours
cet argent et nous avons un autre pays à rajouter à
notre empire global.
En conduisant de Quito à Shell par cette journée
ensoleillée de 2003, j’ai repensé à ce
jour 35 ans plus tôt où j’étais venu pour
la première fois dans cette partie du monde. J’avais
lu que bien que seulement de la même surface que le Névada,
l’Equateur avait plus de 30 volcans en activité, plus
de 15% des espèces d’oiseaux du monde, et des milliers
de plantes jusqu’ici non encore répertoriées
et que c’était une terre de cultures variées
où autant de gens parlaient les anciens dialectes que l’espagnol.
Je trouvais tout cela fascinant et bien sur exotique, toutefois
les adjectifs qui me venait sans cesse à l’esprit étaient
: pure, vierge, innocent.
Beaucoup de choses ont changé en 35 ans.
A l’époque de ma première visite en 1968, Texaco
venait tout juste de découvrir du pétrole dans la
région amazonienne de l’Equateur. Aujourd’hui
le pétrole représente presque la moitié des
exportations du pays. Un oléoduc transandéen construit
peu de temps après ma première visite a depuis répandu
la valeur de plus d’un demi-million de barriques dans la fragile
forêt équatoriale__ plus de deux fois la quantité
répandu par celui d’Exon Valdez. Aujourd’hui
un nouvel oléoduc de 300 miles et coûtant 1,3milliards
de dollars construit par un consortium mis sur pieds par des TGE
promet de faire de l’Equateur un des dix premiers fournisseurs
de pétrole des Etats-Unis. De larges zones de la forêt
équatoriale ont été coupées, les aras
et les jaguars sont pratiquement en voie d’extinction, trois
cultures indigènes sont au bord de l’effondrement et
les rivières pures ont été transformées
en « saloperies » de cloaques.
Pendant cette même période, les cultures indigènes
ont commencé à résister et se défendre.
A la suite de quoi, le 7 mai 2003, un groupe d’avocats américains
représentant plus de trente mille indigènes équatoriens
ont intenté un procès en dommages et intérêts
pour un milliard de dollars contre Chevron Texaco Corporation. Ils
affirment qu’entre 1971 et 1992, le géant pétrolier
a déversé journellement plus de sept millions et demi
de litres d’eau pollué par des résidus toxiques
de pétrole, métaux lourds, carcinogènes dans
des trous ouverts et des rivières et a laissé derrière
elle environ 350 puits ouverts de déchets qui continuent
à tuer à la fois gens et animaux.
Par la fenêtre de ma voiture, je voyais de gros nuages de
brume qui s’échappaient de la forêt et remontaient
des canyons de la Pastaza. La sueur trempait ma chemise et mon estomac
commençait à se soulever, mais pas seulement à
cause de la chaleur tropicale intense et des tournants sinueux la
route. Une fois de plus, la conscience du rôle que j’avais
joué dans la destruction de ce beau pays m’ébranlait.
A cause de moi et des autres TAGEs, l’Equateur est en bien
plus mauvais état aujourd’hui qu’avant que nous
ne l’initions aux miracles de l’économie moderne,
de la banque et de l’ingénierie. Depuis 1970 -pendant
la période euphémiquement baptisé boom pétrolier-
l’indice officiel de la pauvreté est passé de
50 à 70 pour cent, alors que le sous-emploi ou chômage
augmentait de 15 à 70 pour cent et la dette publique passait
de $240 millions à $16 milliards. Pendant ce temps, la part
de ressources nationales allouées aux segments les plus pauvres
de la population tombait de 20 à 6 pour cent.
Malheureusement l’Equateur n’est pas l’exception.
Presque tous les pays que nous les TAGEs avons amenés sous
le parapluie de l’empire global ont subi le même sort.
La Subaru ralentit tandis qu’elle parcourait les rues de
la belle station balnéaire de Banos, célèbres
pour ses bains chauds crées par les rivières volcaniques
souterraines qui descendent du très actif Mont Tungurahgua.
Des enfants couraient le long de notre voiture en faisant de grands
signes et en essayant de nous vendre des cookies et du chewing gum.
Puis nous laissâmes Banos derrière nous. Le paysage
spectaculaire s’arrêta abruptement. La Subaru accéléra
quittant le paradis pour entrer dans une vision moderne de l’enfer
de Dante.
Un monstre gigantesque s’élevait de la rivière,
un mur géant et gris. Le béton ruisselant était
totalement déplacé, tout à fait anormal et
incompatible avec le paysage. Bien sur, je n’aurais pas du
être surpris de le voir là. Je savais depuis le début
qu’il nous attendrait là en embuscade. Je l’avais
rencontré maintes fois avant et autrefois je l’avais
même vanté comme un symbole de la réussite des
TAGEs. Mais même ainsi il me donnait la chair de poule.
Ce mur affreux et incongru est un barrage qui bloque le flot rugissant
de la rivière Pastaza, draine ses eaux à travers des
tunnels énormes percées dans la montagne et convertit
leur énergie en électricité. C’est le
projet hydroélectrique Agoyan d’une puissance de 156
mégawats. Il alimente les industries qui enrichissent une
poignée de riches familles équatoriennes, et a été
une source de souffrances jamais divulgués, pour les fermiers
et les indigènes qui vivent le long de la rivière.
Cette usine hydroélectrique est juste un des nombreux projets
développés grâce à mes efforts et ceux
d’autres TAGEs. De tels projets sont la raison pour laquelle
l’Equateur est aujourd’hui un membre de l’empire
global, et également la raison pour laquelle les Shuar et
les Kichwa ont déclaré la guerre à nos compagnies
pétrolières.
A cause des projets TAGEs, l’Equateur est étouffé
sous le poids de sa dette extérieure et doit consacrer une
part démesurée de son budget national pour la rembourser,
au lieu d’utiliser son capital à aider les millions
de ses citoyens qui sont officiellement classés comme étant
dangereusement appauvris. La seule façon pour l’Equateur
de racheter ses obligations étrangères est de vendre
ses forêts équatoriales aux compagnies pétrolières.
En effet, une des raisons pour lesquels, les TAGEs ont choisi l’Equateur
au départ, est que l’on croit que la mer de pétrole
qui gît dans le sous-sol de sa forêt amazonienne pourrait
rivaliser avec les champs de pétrole du Moyen Orient. L’empire
global réclame sa livre de chair sous la forme de concessions
pétrolières.
Ces exigences devinrent particulièrement pressantes après
le 11 septembre 2001, lorsque Washington craignait que les approvisionnements
du Moyen Orient puissent cesser. Par-dessus le marché, le
Venezuela notre troisième fournisseur de pétrole avait
élu un président populiste, Hugo Chavez, qui avait
pris une position très ferme contre ce qu’il appelait
l’impérialisme US ; Il menaçait d’interrompre
ses ventes de pétrole aux Etats-Unis. Les TAGEs avaient échoués
en Irak et au Venezuela. Mais nous avions réussi en Equateur
et maintenant nous allions en tirer le maximum.
L’Equateur est typique de ces pays dans le monde que les
TAGEs ont soumis à leur domination économique et politique.
Pour chaque$100 de brut extrait de la forêt équatoriale
équatorienne, les compagnies recevaient $75. Des $25 restants,
les trois quarts devaient être consacrés à payer
la dette extérieure. La plus grande partie de ce qui restait
couvrait les dépenses militaires et autres dépenses
du gouvernement -ce qui laissait $2.50 pour la santé, l’éducation
et les programmes destinés à aider les pauvres. Ainsi,
pour chaque 100 dollars de pétrole arraché à
l’Amazonie,moins de $3 vont aux gens qui ont le plus besoin
de cet argent, ceux dont les vies ont été chamboulés
par les barrages, les forages, et les oléoducs, et qui meurent
faute de nourriture comestible et d’eau potable.
Chacune de ces personnes -des millions en Equateur, des milliards
autour de la planète- est un terroriste potentiel. Non parce
qu’ils croient au communisme, aux doctrines anarchistes, ni
parce qu’ils sont intrinsèquement mauvais, mais simplement
parce qu’ils sont désespérés. En regardant
ce barrage, je me demandais -comme je l’ai déjà
fait si souvent fait dans tellement d’endroits dans le monde-
quand ces gens passeraient à l’action, comme les américains
contre les anglais dans les années 1770 ou les latino-américains
contre l’Espagne au début des années 1800.
La subtilité de cette construction d’empire moderne
peut en remontrer aux centurions romains, aux conquistadors espagnols,
aux puissances coloniales européennes du dix huitième
et dix neuvième siècle. Nous les TAGEs sommes rusés,
nous avons assimilés les leçons de l’histoire.
Aujourd’hui nous ne portons pas de sabres. Nous ne portons
pas d’armure ni de vêtements qui nous différencient
des autres. Dans des pays comme L’Equateur, le Nigeria et
l’Indonésie nous sommes habillés en instituteurs,
en commerçants. A Washington et à Paris, nous ressemblons
à des fonctionnaires et des banquiers. Nous apparaissons
humbles, normaux. Nous visitons les sites de projets et flânons
dans les rues des villages appauvris. Nous faisons profession d’altruisme,
parlons avec les journaux locaux des merveilleuses actions humanitaires
que nous accomplissons. Nous couvrons les tables de conférences
des comités gouvernementaux de nos feuilles de calcul et
de nos projections financières et faisons des conférences
à l’Ecole de Commerce de l’université
de Harvard sur les miracles de la macroéconomie. Nous sommes
officiels et visibles. Ou c’est comme cela que nous nous décrivons
et c’est comme cela que nous sommes acceptés. C’est
ainsi que le système marche. Il est rare que nous ayons recours
à l’illégalité parce que le système
lui-même est bâti sur le subterfuge et le système
est par définition légitime.
Toutefois -et ceci est un avertissement majeur- si nous échouons,
une espèce encore plus sinistre prend le relais, des individus
que nous les TAGEs appelons des chacals, des hommes qui sont les
héritiers en droite ligne de ces empires passés. Les
chacals sont toujours là en embuscade dans l’ombre.
Quand ils en émergent, des chefs d’état sont
renversés ou meurent dans des « accidents » violents.
Et si par hasard, les chacals échouent, comme ils ont échoués
en Afghanistan ou en Irak, alors les vieux modèles resurgissent.
Quand les chacals échouent, on envoie de jeunes américains
se faire tuer.
Comme je passais à coté de ce monstre, ce mur géant
et balourd de béton gris qui s’élevait de la
rivière, j’étais conscient de la sueur qui détrempait
mes vêtements et de crampes dans mes intestins. Je descendais
vers la jungle pour rencontrer les indigènes qui étaient
résolus à se battre jusqu’au dernier homme pour
arrêter cet empire que j’avais aidé à
créer. J’étais accablé par mon sentiment
de culpabilité.
Je me demandais comment un gentil gars de la campagne du New Hampshire
comme moi avait pu se faire embrigader dans une aussi sale affaire.
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